Les artistes et les oeuvres de Derrière les étoiles
Atlas Mnémosyne, Aby Warburg
1921 – 1929
Corpus d’images
Allemagne
Figure majeure de l’histoire de l’art du début du 20e siècle, Aby Warburg a posé les bases de l’iconologie : une branche particulière des sciences qui étudie la manière dont les images se forment, évoluent et se transmettent à travers les cultures. Au cours d’une vie marquée par de graves troubles psychiques, il constitue une bibliothèque riche de plus de 60.000 ouvrages à partir desquels il met à jour des relations profondes et non envisagées entre les différents champs du savoir académique, tel que l’histoire de l’art, la philosophie, la psychologie et l’astronomie.
Réalisé avec l’aide de l’Institut Warburg, cet ensemble d’images est une reproduction de l’un des panneaux de l’Atlas Mnémosyne consacré aux représentations du cosmos dans l’art et la culture occidentale. Débuté en 1921 et laissé inachevé à la mort de l’historien en 1929, L’Atlas Mnémosyne est une entreprise iconographique colossale visant à dévoiler une “mémoire des images” persistante dans l’imaginaire collectif. Sur de grands panneaux de bois, Aby Warburg punaisait des reproductions de peintures, de fresques, de gravures et d’images d’actualités issues des différentes civilisations pour tenter de comprendre la manière dont les images circulent, s’influencent et ressurgissent en passant d’une culture à l’autre. Ce panneau présente principalement les liens entre astronomie et mythologie, et permet de mieux comprendre la manière dont les sociétés humaines ont appréhendé l’univers et la place qu’elles occupaient en son sein. En reliant des observations astronomiques à des récits mythologiques et des traditions symboliques, l’œuvre inachevée d’Aby Warburg permet de mieux comprendre la manière dont les destins humains et les événements célestes s’imbriquent dans l’inconscient collectif.
Studies Into the Past, Laurent Grasso
2009 – 2022
Huile sur panneau de bois
France
Que ce soit dans le domaine de la science, de l’histoire ou des croyances, Laurent Grasso explore les limites de notre capacité à connaître véritablement le monde. L’anachronisme, l’emprunt et les faux jouent des rôles déterminants dans un travail qui ne cherche pas tant à tester la véracité de nos croyances qu’à explorer le potentiel artistique du trouble et de l’incertitude.
De la découverte de l’héliocentrisme par Galilée à celle de la relativité générale par Albert Einstein, les progrès réalisés dans le champ de l’astronomie remettent régulièrement en cause des pans entiers de notre compréhension de l’univers. Ainsi, les phénomènes astronomiques sont-ils au cœur de la série d’œuvres regroupée sous le titre générique des Studies Into the Past, initiée par l’artiste en 2009. Il s’agit d’un ensemble de peintures à l’huile et de dessins inspirés de la peinture flamande et italienne des 15e et 16e siècles, dont la technique et la facture ont été méthodiquement reproduites. L’artiste a toutefois intégré dans les scènes des éléments qui ne figuraient habituellement pas sur les œuvres originelles. Les références mythologiques ou religieuses de l’époque, (utilisées pour expliquer les phénomènes qui échappaient à la connaissance) par des éclipses, des météorites ou des soleils noirs. Ce sont des images piégées, faussement historiques, par le biais desquelles l’artiste intervient directement sur le passé afin de semer le doute quant à la fiabilité des images. Avec elles, Laurent Grasso joue avec le passé et l’histoire en créant ce qu’il nomme une “fausse mémoire historique”, de telle sorte qu’il devienne impossible, dans un avenir lointain, de situer l’époque dans laquelle ces œuvres ont été produites.
Deep Field, Félicie d’Estienne d’Orves
2019
Installation : Diapositive, bougie et loupe
France
Collaborateur : Atelier Delarasse (tôlerie d’art)
Coproducteur : Cibrian Gallery
Marqué par une forte rigueur scientifique et influencé par les philosophies spirituelles orientales, le travail de Félicie d’Estienne d’Orves se compose d’installations et de dispositifs donnant à vivre certaines expériences de l’espace. Ses œuvres ne cherchent ni à représenter le cosmos, encore moins à en livrer une interprétation personnelle, mais plutôt à créer des conditions de rencontres entre différents espace-temps : le nôtre – humain, intérieur, mental – et d’autres, plus profonds, éloignés ; certains vieux de parfois de plusieurs milliards d’années-lumières. Deep Field constitue l’une de ces rencontres. Conçu en 2019, le dispositif s’articule autour d’une photographie publiée par la NASA en 1995 prise par le télescope spatial Hubble. Sur cette photographie, qui ne représente pourtant qu’une infime fraction de la sphère céleste (30 millionièmes de la surface du ciel, soit l’équivalent d’un bouton de chemise regardé à 25 mètres), 3.000 galaxies sont présentes, certaines d’entre elles figurant parmi les plus jeunes et les plus éloignées jamais observées. Plus “profonde” photographie jamais réalisée, Deep Field représente l’une des pierres angulaires de nos connaissances astronomiques contemporaines. C’est l’image à partir de laquelle nous avons établi les extrapolations nous permettant de comprendre l’immensité de la taille de l’Univers, l’une des preuves de l’existence d’une “infinité de mondes”, dont chaque galaxie contient des milliards de soleil. À l’aide d’une bougie et d’une loupe, l’artiste ouvre dans l’espace de l’exposition une fenêtre sur une perspective visuelle embrasant plus de 11 milliards d’années lumières.
« ħ » Constante de Planck II, Vladimir Skoda
2004 – 2013
Acier patiné noir
France
Au XXe siècle, certains artistes ont lié leur carrière à un geste, ou une forme particulière. C’est le cas du forgeron Vladimir Skoda avec la sphère, qu’il a déclinée de toutes les manières, dans toutes les tailles, épuisant dans des gestes répétés mille fois toute sa symbolique. Souvent considérée comme la forme géométrique parfaite, tous les points à sa surface étant équidistants de son centre, la sphère représente ainsi l’harmonie, l’unité et la complétude, la totalité, l’infini et les cycles, le cosmos et les planètes.
Dans cette sculpture, pas de sphère parfaite, mais un pendule en proie à la gravité, dont la pointe dorée d’ailleurs évoque celui de Léon Foucault, un scientifique qui en 1851 vérifie et rend manifeste la rotation quotidienne de la terre – démontrant empiriquement le référentiel galiléen. Pourtant, le titre de l’œuvre « ħ » est une référence directe à la constante de Planck, qui explique plusieurs concepts fondamentaux en mécanique quantique et fournit un lien entre l’énergie et les phénomènes ondulatoires. C’est ainsi grâce à cette constante qu’on établit une relation entre lumière et matière – la fameuse dualité onde-particule. Ainsi, dans cette sculpture se retrouvent enlacés différentes visions de l’espace, différents modèles qui se sont succédé, même s’il serait injuste de n’y voir qu’une maquette illustrative des sciences.
Supraspectives, Quadrature
2020
Installation vidéo – Programme spécifique d’intelligence artificielle – données satellites – écran
Allemagne
Supraspectives a été développée à Medialab Tabakalera, en collaboration avec Ars Electronica et avec les astrophysiciens Silvia Bonoli et Raul Angulo.
À mi-chemin entre l’enthousiasme astronomique et la technocritique, le duo d’artiste allemand Quadrature étudie les dimensions politiques et sociales du cosmos. Leur travail articule des données astronomiques et scientifiques en des dispositifs signifiant afin de rendre perceptibles des enjeux politiques majeurs, mais invisibles : astrocapitalisme, militarisation du spatial, appropriation du cosmos par des acteurs privés et étatiques…
Dans le cadre de la création de Supraspectives, le duo d’artistes Quadrature a rassemblé les données de 590 satellites-espions dont l’installation suit la trajectoire en temps réel. Si un tiers d’entre eux – obsolètes ou endommagés – peuvent être considéré comme des déchets spatiaux, l’ensemble continue néanmoins à graviter dans l’orbite de la sphère terrestre. L’installation calcule les trajectoires de tous ces satellites en temps réel et reconstruit de manière spéculative la vue qu’ils capturent, offrant des images de ce que les satellites pourraient être en train d’observer. Les satellites sélectionnés sont principalement ceux qui passent à proximité du lieu de l’exposition, combinés à d’autres images satellites particulièrement intéressantes ou suggestives. À ces vues spéculées s’ajoute des informations relatives au satellite, telles que son pays d’origine ou l’année de son lancement.
L’installation vit du contraste qui existe entre les images de la Terre vue du ciel tel qu’elles apparaissent dans l’imaginaire collectif et la réalité et machinique du regard que les satellites de surveillances portent réellement sur notre planète. En ce sens, Supraspectives officialise plus qu’il n’opère un renversement dans l’histoire de la vision spatiale. Lorsque l’on regarde vers les étoiles, le ciel désormais nous regarde en retour.
Ostentis periculum portenditur, Hyacinthus, Mefyl et Florian Métral
2024
Installation interactive
Allemagne
Production CNRS (CPJ ARVIGRAPH / Centre André-Chastel)
Développé par le graveur Hyacinthus, le codeur Méfyl et l’historien d’art Florian Métral, Ostentis periculum portenditur est un jeu vidéo alternatif permettant aux joueur·euses de manipuler un Flugblatt. Véritables ancêtres des flyers et des médias de communications de masse de manière plus générale, les Flugblatt (littéralement : ce qui vole) appartiennent à la famille des feuilles volantes. Il s’agit de pages imprimées, nées avec la généralisation de l’imprimerie en Occident à partir du milieu du 15e siècle et utilisées pour diffuser rapidement et massivement des informations considérées comme cruciales. On retrouve des Flugblatt traitant de décisions juridiques, de faits militaires et guerriers, mais aussi une production importante de Flugblatt relative aux “prodiges”, – réels ou supposés – au rang desquels figurent les phénomènes célestes. Souvent qualifiées de productions “populaires”, ces feuilles volantes étaient investies d’un pouvoir immense : celui de frapper les esprits, d’agir sur la sphère publique et, en conséquence, d’influencer le cours général de l’histoire.
Le Flugblatt reproduit par le dispositif présente la “grande comète” de 1577, observée par de nombreuses personnalités scientifiques de l’époque. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette histoire, vous pouvez vous référer à sa reproduction présentée à côté de l’œuvre. En manipulant l’image du Flugblatt, les joueur·euses sont invité·es à comprendre l’incidence des phénomènes célestes sur leur environnement, et à produire, in fine, leurs propres versions de l’histoire terrestre.
Light Break, Nicolai Howalt
2015
Impression lumineuse, tirage papier C-Type et tirage gélatino-argentique
Danemark
Depuis plusieurs décennies, Nicolai Howalt s’emploie à redécouvrir et développer des procédés photographiques alternatifs rendant compte de la dimension profondément fragile et éphémère de son médium. Dépourvues de véritables sujets, ces images racontent l’histoire des matériaux qui les composent, leurs qualités chimiques particulières, leurs réactions insoupçonnées, leurs grandes précarités.
Initiée par l’artiste en 2015, la série Light Break prend comme point de départ les recherches sur la lumière réalisées par le médecin Niels Ryberg Finsen (1860-1904). À la fin du 19e siècle, Finsen découvre que la lumière n’est pas un ensemble homogène, mais est en réalité composé de plusieurs rayons invisibles (ultra-violet, infrarouge, etc.). À l’aide de cristaux de roche, il étudie les effets protecteurs, curatifs ou destructeurs de la concentration de ces radiations sur la peau humaine, proposant ainsi une méthode permettant de soigner les patients atteints de certaines maladies. S’inspirant de la méthode de Finsen, Nicolaï Howalt a utilisé les filtres et les lentilles colorés du médecin pour concentrer la partie saine de la lumière solaire sur du papier photosensible. De la même manière que la lumière concentrée par les lentilles de Finsen guérissait ses patients, les images chatoyantes de Nicolai Howalt nous éclairent et nous font du bien. Elles constituent à cet égard un hommage vibrant à la lumière sous son expression la plus pure, puisqu’il ne s’agit pas de représentations, mais d’impression directe du soleil par lui-même. Comme si l’astre, libéré de la subjectivité humaine, mais assisté par l’un de ses partisans, avait réalisé ses propres autoportraits.
Ceci n’est pas la Lune, version I, Nicolai Howalt
2022
Tirage gélatino-argentique – (fabrique de papier photo à Kiev, UNIBROM, expiration 1992)
Danemark
De la même manière que la Trahison des images du peintre Magritte n’était effectivement pas une pipe à bois, mais un tableau représentant l’idée que l’on se fait généralement d’elle, Ceci n’est pas la Lune est vraiment moins la Lune qu’une tentative de l’artiste Nicolai Howalt de formaliser la manière dont l’astre existe dans nos esprits. Comme toutes les œuvres de Nicolai Howalt, cette dernière parle moins de son sujet que des modalités de sa propre création. Ceci n’est pas la Lune raconte la quête d’une image “parfaite”. La tentative de faire exister physiquement, et coûte que coûte, une image correspondant trait pour trait à l’idée que l’on se fait de son sujet.
Pour la réaliser de la Lune, l’artiste est allé puiser dans les archives de la NASA, qu’il consulte fréquemment afin de trouver des images susceptibles de constituer le matériel visuel de ses futurs travaux. Au cours d’une de ses recherches, il tombe sur une image correspondant à son projet. Lumineuses et sombres comme seuls peuvent l’être les astres au milieu de la nuit, minérale et pleine de ces cratères qui rappellent le fromage… Afin que l’image soit encore plus parfaite, Nicolaï Howalt décide de tirer une vingtaine de négatifs de l’image, et de les imprimer sur un papier spécial fabriqué à Kiev en 1970, soit exactement la même année que la photographie a été prise. Un problème subsiste néanmoins, puisque l’image de la Lune, telle qu’il se l’était toujours représentée, correspond en réalité à une photographie de la planète Mercure. Ceci n’est pas la Lune est donc une image ambivalente, à la fois très jeune et assez vieille, analogique et numérique, objectivement fausse, mais assez parfaite symboliquement.
Poussières d’étoiles et débris cosmiques
Satellites, Jonas Bendiksen
2000
Photographie argentique
Norvège
À l’ombre de la gloire des icônes de la conquête spatiale, il existe d’autres images, non officielles, terrestres et concrètes, mais néanmoins absentes de l’imaginaire collectif. Ce sont ces images que le photographe Jonas Bendiksen, alors âgé d’une vingtaine d’années, a entrepris d’aller chercher entre 1999 et 2005. L’ouvrage Satellites est né de la volonté de témoigner des réalités complexes et plurielles des états-satellites nés de l’effondrement du bloc soviétique. Ses images livrent un aperçu du quotidien de ces territoires liminaires, documentant la vie des communautés vivant chacune à leur manière la désintégration du communisme soviétique et l’échec de ses ambitions politiques et spatiales.
Sur cette photographie, on surprend deux hommes, des fermiers, en train de récupérer des fils de cuivre et des plaques de métal sur la carcasse d’un lanceur de fusée échoué. L’image a été réalisée dans la région de Baïkonour, entre la Russie et le Kazakhstan, fief d’un immense cosmodrome chargé de lancer en orbite les fusées Soyouz dont les étages des propulseurs retombaient au sol une fois leurs carburants épuisés. Une mythologie moderne s’est progressivement construite à partir de ces fusées échouées. Certains habitants se plaignaient de maladies mystérieuses causées par composantes chimiques des débris spatiaux, d’autres s’enrichissaient comme miraculeusement en revendant les matériaux rares issus des carcasses. Réalisée un jour d’orage, alors que des milliers de papillons blancs flottaient dans le ciel, l’image rend compte des espoirs, des déceptions et de la réalité terrestre d’un ancien rêve spatial.
They Promised Us Flying Cars, But All We’ve Got Are Solar Powered Parking Meters, Stefan Eichhorn
2019 – 2022
Combinaisons construites avec des déchets urbains : mousse, tissu, fermeture éclair, verre acrylique, bois, bande adhésive et autres matériaux trouvés
Allemagne
Stefan Eichhorn est un artiste espiègle. Pleines d’ironie et de références historiques, ses installations et ses sculptures s’approprient et détournent les symboles de l’histoire officielle afin d’en faire ressortir leurs incohérences et leurs non-dits. Réalisées entre 2019 et 2022, They Promised Us Flying Cars, But All We’ve Got Are Solar Powered Parking Meters, traduit bien l’ironie latente de son œuvre. Créés à partir de mousses, d’emballages de déchets, de flotteurs nautiques et autres matériaux de récupération, ses sculptures/costumes détournent l’un des symboles visuels les plus caractéristiques de la conquête spatiale. De l’imagination des premiers auteurs de science-fiction aux scaphandres des bathyscaphes sous-marins, la combinaison spatiale est longtemps restée un objet de fantasmes et de projections, synonyme d’aventures, de terres inexplorées et de grandes découvertes. Indissociable de la figure de l’astronaute qui la revêt, elle est cette histoire faite homme, héroïque, valeureuse et patriote. Alors que l’intérêt des vols spatiaux habités est de plus en plus fréquemment remis en cause par le monde scientifique ; une grande partie des expériences menées hors gravités pouvant désormais être effectuées sur Terre – la combinaison spatiale (dont le coût unitaire est estimé entre 10 et 20 millions de dollars) apparaît plus comme un enjeu de communication qu’une véritable nécessité scientifique. Front haut et bras ballant, toujours prêt à partir en mission, les impraticables combinaisons de Stefan Eichhorn relèguent l’astronaute au rang de mascottes promotionnelles d’un voyage qui n’aura peut-être jamais lieu.
The silence pulse of the Universe, Breakwater Studios
2020
Films documentaires
Etats-Unis
Le récit de la conquête et de l’exploration spatiale ne s’écrit pas qu’avec des faits. Il est composé d’un ensemble d’images et de symboles, de figures pionnières et héroïques. Un récit qui en promeut certains et en éclipse d’autres, parfois au dépit de leurs contributions essentielles à l’aventure spatiale. Les deux films documentaires présentés par le Studio Breakwater rétablissent deux parcours emblématiques de cette invisibilisation : ceux de Jocelyn Bell Burnell et d’Edward Dwight.
The silent pulse of the Universe revient sur les contributions scientifiques de Jocelyn Bell Burnell et de sa découverte des pulsars, des vestiges d’étoiles qui constituent des marqueurs essentiels pour comprendre les lois de l’Univers. En raison de son genre, sa contribution fut toutefois éclipsée lorsqu’un prix Nobel fut décerné à son directeur de thèse.
The Lost Astronaut, Breakwater Studios
2020
Films documentaires
Etats-Unis
Le récit de la conquête et de l’exploration spatiale ne s’écrit pas qu’avec des faits. Il est composé d’un ensemble d’images et de symboles, de figures pionnières et héroïques. Un récit qui en promeut certains et en éclipse d’autres, parfois au dépit de leurs contributions essentielles à l’aventure spatiale. Les deux films documentaires présentés par le Studio Breakwater rétablissent deux parcours emblématiques de cette invisibilisation : ceux de Jocelyn Bell Burnell et d’Edward Dwight.
The Lost Astronaut retrace le parcours d’Edward Dwight, premier Afro-Américain à être intégré au programme de formation des astronautes de la NASA, injustement écarté des missions spatiales en raison de sa couleur de peau et en dépit de ses compétences et de son dévouement.
In Event of Moon Disaster, Halsey Burgund et Francesca Panetta
2019
Installation sonore et immersive
Etats-Unis
Le soir du 20 juillet 1969, devant plus de 600 millions de personnes, Richard Nixon – alors président des États-Unis – s’adressait à la nation et au monde entier dans un discours qui allait marquer l’Histoire. Auréolé de la gloire “d’un petit pas pour l’homme, d’un bond de géant pour l’humanité”, le président célébrait le succès de la mission Apollo 11 et le triomphe d’astronautes qui venaient de réaliser l’impossible. À travers ce discours, Nixon positionne les États-Unis comme grands vainqueurs de la course à l’espace, champion de leur propre vision du futur.
Réalisée par les artistes Halsey Burdung et Francesca Panetta, In Event of Moon Disaster réinterprète l’histoire à travers une reconstitution fictive du discours que Richard Nixon aurait dû prononcer en cas d’échec de la mission Apollo 11. En s’appuyant sur des techniques de synthèse vocale et d’intelligence artificielle, cette installation met en lumière l’influence déterminante des discours politiques et des images sur l’imaginaire collectif de la conquête spatiale. Les médias de masses, en façonnant la perception du public, ont contribué à l’émergence d’un désir de conquête spatiale, établissant l’exploration du cosmos comme symbole de progrès et de domination technologique.
En détournant un moment clé de l’histoire spatiale, Halsey Burgund et Francesca Panetta nous soulignent le rôle et l’influence des images pour orienter notre compréhension du monde et de la place que nous occupons en son sein.
SCOPE : Space Craft Oracle for Personal Enlightment, Quadrature
2024
Installation interactive – Réseau d’intelligences artificielles – données satellites
Allemagne
Avant même de savoir lire, écrire ou compter, l’attention des êtres humains fut portée sur l’observation des phénomènes célestes : l’influence des lunes sur les marées, l’embrasement de l’arbre frappé par la foudre… Nous scrutons le ciel pour en déduire des lois physiques et nous cherchons dans le dessin de ses constellations des indices qui donneraient un sens à nos destins terrestres. Si les étoiles opèrent historiquement comme des boussoles, la topographie du ciel a pour sa part profondément changé au cours des 80 dernières années. Plus de 3.000 satellites gravitent aujourd’hui dans l’orbite de la Terre et jusqu’à 100.000 nouveaux pourraient y être envoyés au cours des 10 années à venir. Comme le faisaient autrefois les corps célestes lointains, ces objets techno-industriels et militaires influencent le cours de l’Histoire ainsi que nos vies quotidiennes.
Fabriqué par le duo d’artiste Quadrature, SCOPE est une cabine délivrant des prédictions astrologiques basées sur la position des satellites et de leurs débris présents dans le ciel le jour de la naissance de celles et ceux qui l’utilisent. L’œuvre pose les bases d’une science divinatoire contemporaine, mise à jour de notre temps technique et de notre ciel domestiqué. Puisant dans les bases de données des missions spatiales, le système sélectionne les lancements survenus au moment de la naissance des visiteur·euses et transmet les métadonnées de la mission à une intelligence artificielle. L’IA analyse ces données pour générer une prédiction personnalisée établie sur les caractéristiques de l’engin spatial et les raisons de son envoi dans l’espace. La fusion de données objectives et de vérités subjectives donne naissance à des œuvres d’art génératives uniques, hyperspéculatives et satellitaires, nées de notre désir profond de donner un sens à notre existence et de chercher dans le ciel des indications.
Cosmosensible
Eau de Space, Steve Pearce
2020
Fragance
Etats-Unis
Développée par le chimiste Steve Pearce, Eau de Space est une fragrance reproduisant l’odeur de l’espace telle que décrite par les astronautes revenus de sorties spatiales. Après une décennie de recherche et à l’aide de la collaboration de plusieurs dizaines d’astronautes de la NASA, Steve Pearce a réussi à recréer cette senteur si particulière, souvent décrite comme un mélange de métal brûlé, de viande grillée, de fruits et de souffre.
Si l’espace n’a pas d’odeur en tant que tel – car il est essentiellement vide et dépourvu de l’air nécessaire pour véhiculer les odeurs – il est néanmoins rempli de particules réactives et d’hydrocarbures aromatiques. Au contact des molécules d’oxygène présentes dans la station spatiale et des matériaux composant les combinaisons des astronautes, ces particules, résultant pour la plupart de combustions d’étoiles mortes, libèrent leurs parfums. La plupart de ces molécules sont vieilles de plusieurs milliards d’années et ont été créés à l’occasion de l’explosion de supernovas ou lors de la naissance de nouvelles étoiles.
Aussi incommode soit-elle, l’odeur de l’espace est, par définition, une odeur qui n’appartient pas aux choses humaines. C’est une odeur ancienne, vieilles de plusieurs milliards d’années. Une relique sensorielle de processus cosmiques primordiaux. Une porte d’entrée vers les temps profonds du cosmos, témoin des premières explosions d’étoiles et de la formation des galaxies.
Meteors – Radio Echoes, Claire Williams
2017
Installation in situ : Composantes électroniques, sons, données live, ondes radio, météores
Belgique
L’artiste Claire Williams s’intéresse au cosmos, aux sciences occultes, aux ondes électromagnétiques ainsi qu’à l’influence de tout ce petit monde invisible sur le corps et la psyché humaine. Pour cette exposition, l’artiste a réalisé une installation permettant d’écouter les “échos de météore”, un phénomène électroacoustique causé par l’entrée d’un corps céleste dans l’atmosphère terrestre. Lorsqu’une météorite pénètre à grande vitesse dans la couche supérieure de l’atmosphère, sa rencontre avec les molécules d’airs provoque une réaction dite d’ionisation qui se manifeste sous la forme d’une traînée lumineuse. Comme un miroir qui renverrait la lumière en direction de sa source d’émission, les traînées ionisées renvoient les ondes radio en direction des émetteurs radio qui les ont produits, créant ce qu’on appelle les « échos de météore ».
Pour réaliser cette installation, l’artiste a disposé des transducteurs – de petits haut-parleurs vibrants – sur les vitres du Hall d’exposition. Connectés en permanence à l’antenne du site Livemeteors.com, une plateforme amatrice dédiée à l’écoute des phénomènes spatiaux, les transducteurs amplifient les perturbations du champ électromagnétique causées par les échos de météores. En tendant l’oreille vers les vitres, le public entend par intermittence une mélodie faite de sifflements, de cliquetis, de crépitements et d’autres sons électromagnétiques difficilement reconnaissables. Si nous l’entendons ici pour la première fois, cette symphonie se joue pourtant en permanence sur une fréquence de 61.260 Mhz, passant normalement sous les radars de notre perception.
Cosmorama, Hugo Deverchère
2017
Vidéo
France
Produit par Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains
Avec le soutien de Neuflize OBC
Réalisé par l’artiste Hugo Deverchère, Cosmorama filme la Terre à l’aide d’un procédé d’imagerie infrarouge normalement utilisé pour l’observation et l’enregistrement du ciel profond, au-delà de notre système solaire. Grâce à cette technique, tout un pan du spectre lumineux qui échappe normalement à notre perception nous est dévoilé. Ce film est pensé comme un voyage entre le proche et le lointain. D’un désert de lave à la topographie proche du sol martien, en passant au travers d’une forêt primaire dont la végétation est restée inchangée depuis 50 millions d’années, jusqu’à l’orée d’une cavité rocheuse laissant entrevoir un accès aux profondeurs de la Terre, l’œil devient télescope, et la Terre étrangère. À l’aide d’un dispositif d’enregistrement spécifique, le film donne à entendre des sonorités qui échappent elles-aussi à notre perception : le rayonnement des corps célestes, les vibrations traversant la matière. En nous présentant le monde tel qu’il est, mais ne nous apparaît pas, l’artiste fait écho à une autre vérité de laquelle des siècles d’ethnocentrisme nous ont coupée. La Terre, comme toutes les autres planètes, n’est pas ailleurs que dans le l’espace : elle est l’espace.