Derrière les étoiles
L’exposition Derrière les étoiles explore les techniques, les récits et les images qui ont façonné le regard que nous portons sur l’espace. Longtemps perçu comme un lieu de mythes, de religion et de légendes, notre compréhension du cosmos a radicalement changé au cours du 20ème siècle, sous l’impulsion d’une conquête spatiale dont les fusées et les satellites furent les véhicules. Du premier pas sur la Lune à l’essor du tourisme spatial, il n’aura fallu que quelques décennies à l’espace pour devenir le nouveau terrain de réalités bien terrestres.
Mêlant imaginaires artistiques, imagerie techno-scientifique et culture populaire, Derrière les étoiles met à jour la relativité de notre système cosmologique. Travaillant avec l’espace comme matériau ou comme horizon, les artistes nous invitent à nous projeter sensiblement dans le ciel, à nous interroger sur la nécessité et les modalités de l’exploration spatiale. En ce sens, l’exposition constitue une invitation à considérer l’espace non plus comme une frontière à conquérir, mais comme un territoire commun.
Infos pratiques :
- Dès 6 ans
- Aux jours et horaires d’ouvertures du Cube Garges
- Gratuit
Note d’intention :
Par-delà leurs sujets, les images racontent des histoires et font naître des récits dans l’esprit de celles et ceux qui les regardent. À des années-lumière de sa réalité physique, l’espace existe en nous sous forme de clichés, de symboles et de légendes. C’est l’image d’une fusée s’élançant vers le lointain, des premiers pas d’un astronaute sur la Lune, d’une toute petite planète, la nôtre, au milieu de l’immensité noire de l’univers. En d’autres termes, ce n’est pas l’espace que nous connaissons, mais un agglomérat riche et confus de tout ce que l’Histoire, la science, les arts visuels et les médias de masse ont produit à son sujet. En dépit des découvertes réalisées par la science, l’espace résiste à sa stricte rationalisation et demeure une formidable matrice de récits et de symboles à travers laquelle l’histoire de l’humanité s’est écrite et continue de s’inventer.
Si l’espace est ailleurs, il n’en reste pas moins au cœur de préoccupations bien terrestres. À l’heure où les enjeux diplomatiques, militaires, scientifiques, écologiques et commerciaux se déplacent et s’étendent dans le ciel, il convient de questionner ses représentations et les récits qui les sous-tendent. Quels rôles les images de l’espace jouent-elles dans notre manière d’appréhender le cosmos ? Dans notre désir d’y envoyer des fusées ou d’y établir des colonies ? Quelles entreprises légitiment-elles ? Quelles icônes mettent-elles sur un piédestal et qu’auraient à nous raconter celles et ceux qu’elles invisibilisent ? L’exposition Derrière les étoiles ne s’intéresse pas directement à l’espace, mais à l’écart infini qui existe entre sa réalité et ses représentations. Elle investigue les processus et les stratégies ayant permis l’émergence d’un imaginaire spatial parfois biaisé et désormais lourd de conséquences.
Face au monopole du mythe de la conquête spatiale, et pour ne pas laisser l’hubris de quelques-uns devenir l’horizon de toutes et de tous, l’art peut être de quelques recours. Certain·es des artistes présenté·es dans cette exposition s’approprient et détournent le langage visuel et les outils technologiques de la conquête spatiale. D’autres exposent ses conséquences terrestres et redonnent une voix aux figures oubliées de son récit. Certain·es enfin dépassent le rapport presque exclusivement visuel que nous avons à son égard en donnant à vivre des expériences sensorielles inédites. Loin de ses célèbres clichés et des imaginaires fatigués qu’ils charrient, le bruit des comètes et l’odeur du vide spatial deviennent les fondements sensibles d’une nouvelle relation à l’égard du cosmos. À sa manière, chaque œuvre réaffirme que l’espace est immense. Bien trop pour n’être réduit qu’à de simples clichés, mais suffisamment pour accueillir en son sein de nouveaux récits.
Bienvenue derrière les étoiles.
Parcours d’exposition
L’espace et son double
Comment penser un espace qui ne se termine jamais ? Une matière si dense qu’elle courbe le temps lui-même ? Les dimensions d’une galaxie que la lumière met plus de 100 000 ans à traverser ? Parce que les lois qui régissent l’univers – la gravité, l’expansion continue, la relativité – se déploient sur des échelles si vastes qu’elles échappent totalement à notre compréhension, les images de l’espace nous sont indispensables. Ces images ne sont toutefois jamais de simples « photographies » objectives des phénomènes qu’elles médiatisent. Elles souvent construites à partir de données, qui nécessitent des traitements et des interprétations. L’utilisation des couleurs, des formes spectaculaires ou des compositions sont des choix visuels qui influencent la réception de ces images et participent à la construction d’une vision souvent idéalisée ou même mystifiée de l’univers. À travers elle, l’espace apparaît plus proche de l’idée que nous nous faisons de lui que ce qu’il est vraiment.
Empruntant à différentes époques et à une grande diversité de médiums, cette première section de l’exposition illustre l’influence des techniques d’observations et de représentations sur l’imaginaire spatial. L’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg officie comme une porte d’entrée : sur un grand panneau de bois, des constellations du zodiaque, des cartes du ciel et des gravures d’anciennes divinités présentent la manière dont différentes cultures européennes antiques ont intégré leurs observations astronomiques à leurs récits mythologiques. Des fausses peintures médiévales de Laurent Grasso à la Lune presque parfaite de Nicolai Howalt, ces œuvres mettent en lumière l’écart existant entre l’espace et ses représentations ainsi que nos inlassables efforts pour domestiquer l’espace et le faire rentrer dans le cadre de notre compréhension.
Poussières d’étoiles et débris cosmiques
Le second volet de l’exposition s’ouvre sur une photographie extraite du reportage Satellites: Photographs from the Fringes of the Former Soviet Union réalisé par le photographe Jonas Bendiksen dans les anciens États satellites de l’ex URSS. À l’image des carcasses de fusées rouillant désormais autour du cosmodrome de Baïkonour, cette partie de l’exposition s’applique à mettre en lumière différents pans ostracisés du récit officiel de la conquête spatiale. Hacktivistes, documentaires ou caustiques, les travaux des artistes et des chercheur·euses présenté·es dans cette section soulignent les conséquences aussi bien terrestres que spatiales de l’entreprise.
Ainsi, la cabine de prédiction astrologique SCOPE permet-elle aux visiteur·euses d’obtenir un horoscope personnalisé basé sur la position des satellites militaires et commerciaux orbitant autour de la Terre le jour de leur naissance. Incapables de quitter le sol, les costumes d’astronautes de Stefan Eichhorn apparaissent comme les mascottes promotionnelles désabusées d’un voyage qui n’aurait peut-être pas véritablement lieu d’être. Les documentaires de Breakwater Studios tentent de resituer les contributions scientifiques de Jocelyn Bell et Edward Dwight au sein d’une entreprise astrophysique dont i·elles ont été invisibilisé·es. Présentée sous la forme d’une watching party des années 70, l’installation vidéo In Event of Moon Disaster proposée par les artistes Halsey Burgund et Francesca Panetta présente une histoire dans laquelle la Mission Apollo 11 aurait échoué, revenant ainsi sur l’importance des discours et des mots dans la construction des récits collectifs.
Cosmosensible
Si l’espace fait moins rêver qu’autrefois, c’est parce que le récit qui le sous-tend ressemble de plus en plus à celui de la Terre. Ce qui était autrefois un inconnu fascinant devient un lieu commun, une frontière à franchir, une ressource à exploiter ou un défi technique à relever. Les promesses de découvertes s’effacent derrière des objectifs de rentabilité, transformant un lieu autrefois magique en territoire soumis aux logiques du néolibéralisme. Comment dévier des chemins balisés par plus d’un demi-siècle de colonisation et de conquête spatiale ?
Ce dernier volet de l’exposition présente les œuvres d’artistes explorant de nouvelles voies d’accès à l’espace. Prenant à revers un imaginaire débordant d’images, certain·es artistes investissent des sens moins saturées tels que l’ouïe ou l’odorat. C’est par exemple le cas de Richard Vijgen, dont les lames du carillon électromagnétique se balancent au gré de vents solaires soufflant à plusieurs millions de kilomètres. Ou encore du dispositif médium de Claire Williams, qui transforme les vitres du Hall d’exposition en station d’écoutes pour météores. L’ambition de ces artistes n’est pas de s’extraire de toutes formes de représentations visuelles, mais de proposer les fondations sensibles d’une nouvelle relation au cosmos. C’est le point de départ la proposition de Félicie d’Estienne d’Orves, Continuum, qui nous invite à regarder le soleil se coucher depuis les dunes de la planète Mars. Ces œuvres esquissent de nouveaux récits, non pas de domination, mais d’émerveillement, nous invitant à créer des histoires plus poétiques et désirables pour l’avenir spatial.
Artistes et oeuvres
Jonas Bendiksen
Satellites, 2000
Breakwater Studios
The Silent Pulse of the Universe, 2020
Breakwater Studios
The Lost Astronaut, 2020
Halsey Burgund et Francesca Panetta
In event of a moon disaster, 2019
Hugo Deverchère
Cosmorama, 2017
Hugo Deverchère
La isla de las siete Ciudades, 2021
Félicie d’Estienne d’Orves
Deep Field, 2019
Félicie d’Estienne d’Orves
Continuum, 2023
Laurent Grasso
Studies into the Past, 2017
Hyacinthus, Méfyl et Florian Métral
Ostentis periculum portenditur, 2024
Nicolai Howalt
Light Break, 2015
Nicolai Howalt
Ceci n’est pas la Lune, version I, 2022
Stefan Eichhorn
They Promised Us Flying Cars, But All We’ve Got Are Solar Powered Parking Meters, 2020
Quadrature
Scope, 2024
Quadrature
Supraspective, 2024
Vladimir Skoda
« h » Constante de Planck II, 2003-2014
Théo Viardin
Victorious Oedipus, 2024
Richard Vijgen
Cosmic Wind Chime, 2023
Aby Warburg
Atlas Mnemosyne, 1921 – 1929
Claire Williams
Meteors – Radio Echos, 2017
Princess Hıdır
Illustrations et visuels de l’exposition
Charlotte Lemaire
Mise en récit et illustration de l’exposition pour les jeunes publics